Catégorie :

Spéléo magazine 96

Au cours d’un périple en Dordogne cet ­automne, nous avons eu l’honneur ­d’admirer le fac-similé de Lascaux 4. Une visite privée, le soir, un mois avant l’inauguration officielle par le président de la République de cet espace dédié à l’art préhistorique grâce à une rencontre ­impromptue, avec un jeune géologue, lors d’une excursion dans la grotte de Bernifal, autre cavité qui possède peintures et gravures pariétales. Nous entrons dans cette immense bâtisse (coût de l’investissement : 60 millions d’euros !) encore en chantier, qui abrite à l’échelle «un» la totalité de la grotte de Lascaux. Les éclairages, lumière du jour, sont à la puissance maximum, pour les besoins des ouvriers, qui peaufinent les dernières finitions. La grotte est illuminée dans sa totalité. Nous restons abasourdis par tant de merveilles ; à la fois par la taille de la galerie en conduite forcée mais aussi par la beauté des peintures. Je demande naïvement à notre guide si les peintures ont été reproduites à l’identique quelque 20 000 ans après, car les couleurs sont éclatantes ! Comme neuves, comme irréelles. Il me précise que la création de l’ensemble de la grotte a été une reproduction parfaitement fidèle de la réalité…

J’ai visité le fac-similé de la grotte Chauvet dans l’espace de restitution de la grotte du Pont d’Arc, en visite touristique lambda. J’en suis ressorti déçu, sans émotion, terne, dépité non pas par la restitution elle-même qui sans conteste est remarquable (coût des travaux 52 millions d’euros) mais par cette mise en lumière tamisée qui atténue passablement la beauté intrinsèque des tableaux pariétaux. Le désir des responsables pour les deux cavités citées est de ressentir, pour les visiteurs, au plus près, l’ambiance souterraine. Cette idée est louable. Toutefois je me demande, si les artistes préhistoriques créaient réellement dans la pénombre ? Dans notre société, où tout est spectacle, ne faudrait-il pas au cours de la visite, embraser la grotte, les fresques ne serait-ce qu’un instant, pour que les visiteurs en ressortent avec des souvenirs inoubliables, car les créations pariétales à la lumière sont réellement des œuvres…

Serge Caillault

Publié le 
Catégorie :

Spéléo magazine 95

Les révolutions technologiques s’enchaînent dans tous les domaines. Elles ouvrent en permanence de nouvelles portes et offrent de nouvelles voies pour l’exploration. La spéléologie n’échappe pas à ces règles. Nous sommes passés de la remontée à l’échelle à la simple corde et bientôt à la cordelette de 5 mm. Elle est déjà sur le marché mais reste encore particulièrement onéreuse. Il faut la trouver dans le rayon navigation. Nous sommes ensuite passés de l’acétylène à l’éclairage électrique. Véritable confort dans nos progressions souterraines. Il n’y a plus que le « On » avant de pénétrer dans la cavité et le « Off » une fois dehors quelles que soient les conditions : argile, eau, courant d’air, chocs… Si ; il reste néanmoins à accepter (gérer mentalement) les nombreux éclairs éblouissant de nos partenaires quand viennent les échanges entre-nous lors de nos aventures souterraines.

Toutefois les avancées qui m’impressionnent actuellement c’est ce que font les plongeurs spéléos ou spéléonautes. Il y a peu la plongée profonde dépassait rarement les 80 m, voire les 100 m et c’était considéré comme un exploit. Mais avec l’arrivée des recycleurs et la maîtrise de plus en plus « in fine » des mélanges gazeux à respirer, la barrière des 200 m sous le miroir de l’eau deviendrait un objectif presque courant. Je n’ose dire banal pour certains qui jongle avec cet environnement plusieurs fois par an, repoussant toujours plus loin les limites mentales et physiques de ces explorations subaquatiques. En 2015, en Albanie, le plongeur polonais Krzysztof Starnawski a atteint la fabuleuse profondeur de –278 m sans que cela impressionne  le cercle restreint des initiés. Il n’y a pas si longtemps, en 2004, Dave Shaw plongeait en Afrique du Sud à Boesmansgat à moins 271 m. Il était dit à l’époque que les limites humaines des plongées profondes étaient atteintes !

Aujourd’hui j’entrevois les –300 m et le fond « humain » de la Fontaine de Vaucluse…

Nous donnons souvent comme exemple que les spéléologues sont les derniers explorateurs véritables de notre planète ! Mais ne serait-ce pas actuellement les spéléonautes qui repoussent les limites de l’imaginable aquatique ?

Serge Caillault

Publié le 
Catégorie :

Spéléo magazine 94

Que de chemin parcouru entre le premier –1000 mondial avec le gouffre Berger et aujourd’hui, soixante ans plus tard avec plus d’une centaine de gouffres qui dépasse cette barrière symbolique rêvée par tant de spéléologues. Longtemps la France avait cette primeur de records du monde avec deux cavités qui dépassaient les 1 600 m de profondeur, situées en Haute-Savoie avec le gouffre Jean Bernard (–1 602 m) et le réseau Mirolda (–1 733 m) même si pour ce dernier la côte de profondeur a été longtemps mise en doute. Ces gouffres principalement verticaux sont maintenant répartis géographiquement sur (sous !) tous les continents de la planète. Que de chemin parcouru ! Récemment, un premier –2 000 a été exploré dans le Caucase occidental, sur le massif Arabika en Abkasie, à la fois par les Ukrainiens, les Russes et les Français jusqu’à la profondeur Extraordinaire de –2 197 m. D’autres ­suivront certainement, dans le même massif. Une seconde cavité s’enfonce jusqu’à moins 1 830 m : le gouffre Sarma.

Mais toutes ces grottes ne rivalisent pas avec autant d’engouement et de désir de visiter et connaître le gouffre Berger. De descendre le fameux puits Aldo de 40 m, vertigineux à souhait qui débouche ensuite sur de l’inattendu. De voir cette fabuleuse salle des 13 à –500 m, but de bien des groupes sevrés par tant de splendeurs. De frémir dans la cascade finale de l’Ouragan. Là où pendu, sur notre spit de fractionnement, on tutoie avec les –1 000 ! De sentir un dernier volume, immense, où se côtoient pénombre, embruns, vacarme et vestiges des toutes premières explorations avant une dernière hésitation pour franchir dans l’eau glacée le Pseudo Siphon qui ouvre la porte sur le terminus siphonnant des –1 122 m. Aujourd’hui encore, date anniversaire du premier –1 000 mondial, les explorations se poursuivent et réservent encore d’innombrables surprises à qui sait sortir du chemin habituel… Je ne peux conclure sans parler de sa source : les Cuves de Sassenage qui rivalise également de beauté tout le long de son parcours souterrain. Bon été…

Serge Caillault

Publié le 
Catégorie :

Spéléo magazine 93

Ces derniers temps, je suis confronté, plus particulièrement, à la notion de protection du monde souterrain. Mais qu’est-ce ? En Chine, les phénomènes cristallins souterrains sont sources de revenus importants pour les localités implantées dans les territoires karstiques. Une véritable industrie d’extraction des stalagmites et autres karstifications est en place. Certes, actuellement, la politique des responsables locaux change. Ils s’aperçoivent qu’une source plus durable de revenu reste l’aménagement touristique souterrain. Pour cela il faut encore avoir la volonté de préserver le patrimoine en place.

En France, il n’existe aucune législation spécifique pour protéger l’intégrité des grottes, ce qu’elles renferment, de même que pour les paysages souterrains des dégradations ou des pillages, sauf pour les chauves-souris et les sites archéologiques.

Toutefois il n’est pas interdit de porter plainte (cf grotte de Clamouse, Hérault) !

Défendre le patrimoine souterrain est me semble-t-il une nécessité. L’avenir de la pratique souterraine en dépend. Celle à laquelle nous sommes émotionnellement attachés et qui est à l’origine d’un patrimoine national (mondial !) d’une richesse et d’une diversité incomparables. Elles ne cessent de grandir au fil des découvertes. Et à chaque fois, lors des découvertes, pour les spéléologues, les clubs ou autres groupes, émergent les notions telles qu’observer, garder, conserver, sauver, préserver… Mais vient aussi, telle est la nature humaine, la question de pour qui ? Pour soi ? Pour la communauté ? Pour certains ? Pour quel privilège ? Entre également en jeu des personnages qui usent de leurs influences, de leurs pouvoirs pour protéger quelque chose, loin de toute considération de l’autre. Il vient un temps où l’abus de protection n’attire plus ni confiance, ni respect. Surtout si les actes ne sont pas en adéquation avec la parole !

La protection, oui, dans le sens de préserver ce que Dame nature nous offre de plus exceptionnel pour le plaisir des sensations et des regards de tous…

Serge Caillault

Publié le 
Catégorie :

Spéléo magazine 92

Pour cette fin d’année, Spéléo magazine vous propose une pratique de la spéléologie que j’ose qualifier d’atypique ! Une découverte à la fois glacée et marneuse. Glacée, à travers les moulins de glace, une pratique en plein essor qui allie alpinisme et spéléologie. Spits et goujons sont remplacés par les broches à glace. Amarrages temporaires ! Le temps d’une visite tout au plus… Une progression qui s’effectue également dans un univers éphémère : quelques semaines par an, si les conditions météo le permettent, entre le froid qui s’installe et annonce l’hiver, et les premières neiges qui recouvrent toutes les ouvertures (crevasses et moulins), interdisant l’exploration. Éphémère également son creusement, sans cesse renouvelé d’une année sur l’autre. La glace se joue de nous. Elle propose un décor digne des plus beaux palais où la lumière et l’eau jouent un opéra symphonique. Nous trouvons également des glaciers souterrains (assez rares) dans nos cavités alpines où nous retrouvons nos habitudes de progression de spéléologues, mais où la scénographie enchante celui qui sait admirer. Cela disparaîtra-t-il un jour avec le réchauffement climatique annoncé ?

Il y a déjà quelques années (je n’ose dire plus) je visitais la grotte de l’Ours dans le massif des Bauges. Sa particularité était un creusement important dans l’Hauterivien. Or, l’Hauterivien n’est pas karstifiable me dit-on ? Cette cavité est-elle l’exception qui confirme la règle ? Grâce à la persévérance des spéléologues, cette particularité est devenue obsolète. D’autres grottes et gouffres qui se développent dans cette couche marno-calcaire ont fait « surface » où plutôt ont été portés à la connaissance de tous, détruisant ainsi quelques certitudes. Laissant ainsi la place au rêve de nouvelles découvertes, d’autant que l’ornementation de ces conduits ne laisse rien à envier à d’autres cavités, disons plus au sud.

Michel Audiard, célèbre parolier, disait : « heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière ». Quoi de plus subtil dans cette citation pour le spéléologue qui dévoile peu à peu avec acharnement et passion les secrets de la Terre.

Serge Caillault

Publié le